Blog

Le code secret du Tarot de Marseille de Nicolas Conver

Posté par:

Nicolas convers tarologue rennesLe jeu de cartes de Tarot est le véhicule d’une somme considérable d’informations cachées. Ses différents rouages narguent les analystes depuis des siècles. D’après l’historien Mircea Eliade, le procédé n’est pas nouveau : il s’agit d’un processus dialectique bien connu dans l’histoire des religions : l’épiphanie du sacré dans un objet profane constitue en même temps un camouflage ; car le sacré n’est pas évident pour tous ceux qui approchent l’objet dans lequel il s’est manifesté. (Mircea Eliade, Histoire des croyances et des idées religieuses, Tome II, p. 344) On cache, on dissimule, afin de révéler.

Cet ensemble illustré a été conçu à l’origine comme un oracle permettant de prendre connaissance de la volonté divine. Le mot Tarot lui-même est une forme codée et fort simple du terme oracle. Ce mot signifiait, au XIIe siècle, la parole de Dieu telle qu’on pouvait l’entendre à travers le message des apôtres ou des prophètes. Une piste conduisant vers des religieux se précisait. Nous étions en présence ici d’une Échelle de Jacob servant à se rapprocher des Cieux. Dans l’esprit de ses concepteurs, les degrés de cette échelle devaient également servir de pont vers les abîmes infernaux, la divination au Moyen Âge étant souvent définie comme un commerce avec les démons. Le contenu sulfureux d’un des niveaux de lecture du Tarot est tout à fait instructif à cet égard.

Comme on le verra, cette descente initiatique aux Enfers pourrait bien avoir été la condition sine qua non de l’accès à la divination. Ce qui est probable toutefois, en ce qui concerne la période historique qui va nous occuper, c’est qu’une telle initiation de l’adepte ou de l’élu lui était présentée, dans un cadre élargi de sa foi chrétienne, comme sa participation à une quête collective du salut de son âme individuelle et de celle de l’humanité, l’anima mundi.

En ce sens, l’utilisateur du Tarot ne pouvait être à l’origine que membre d’un ordre religieux, la formation nécessaire à une telle démarche ne se retrouvant que dans les écoles religieuses et les monastères. S’ils faisaient du fromage, des liqueurs et de la bière, les bons moines si connus pour leurs recettes secrètes alambiquées étaient fort capables d’inventer un jeu de cartes.

En apparence ce jeu de cartes d’origine médiévale reproduit un ensemble de 78 miniatures numérotées et/ou titrées. «L’art du Moyen Âge est d’abord une écriture sacrée dont tout artiste doit apprendre les éléments.» (Émile Mâle, L’art religieux du XIIIe siècle en France, p. 30) L’image médiévale avait trois fonctions : enseigner, remettre en mémoire, émouvoir. On lui reconnaît aussi la faculté de mette en contact avec le prototype qu’elle représente. Le transitus est le nom donné à cette fonction, une notion néoplatonicienne empruntée par saint Thomas d’Aquin au Pseudo-Denis L’Aréopagite. L’inscription du nom du prototype sur l’image signait cette relation.

En surface, le traitement des sujets illustrés du Tarot semble des plus orthodoxes. Des éléments essentiels de la nature du jeu, un code secret n’étant pas le moindre de ceux-ci, n’ont cependant jamais été percés à jour. Notre défi sera de tenter de mettre quelques-uns de des éléments en lumière en situant le jeu et ses contenus dans ce contexte historique d’origine. Code, le mot est lancé. C’est ce code qui, à notre avis, assure la continuité d’esprit à travers la chaîne des générations d’Artistes qui ont mis la main à la pâte du Tarot. C’est ce code qui va nous permettre de nous inscrire à l’autre bout de cette chaîne, de cette courroie de transmission. Ce code, c’est la lentille qui nous aidera à explorer ce qui se cache derrière la voûte étoilée des Arcanes. Pour cela donc, il faut nous en remettre à l’art de la cryptographie.

Nous exposerons tout particulièrement la structure qui lie les Arcanes entre eux ainsi que le codage de ceux qui portent un nom. Nous proposerons de reculer de près de deux siècles la date d’introduction de l’alphabet moderne. Et nous mettrons fin aux spéculations en répondant de façon définitive à la question qui hante les historiens et les occultistes occidentaux : Quel est l’âge du Tarot ?

On verra que la structure cyclique du jeu propose un itinéraire qui rappelle celui que le pèlerin entreprenait pour sauver son âme. Les lames majeures se déploient comme une série allégorique et analogique qui illustre le parcours par étapes d’un tel chemin initiatique. L’ouvrage est constitué de représentations de la vie au Moyen Âge; le Sauveur, Jésus, y apparaît souvent sous forme cachée.

Certains thèmes proviennent des Saintes Écritures et des textes néoplatoniciens du XIIe siècle. Il s’agit ici du néoplatonisme de Denis L’Aréopagite dont les livres furent retraduits et commentés par L’Érigène au IXe siècle et interprété par les penseurs du XIIe. Hughes de St-Victor (cir. 1090-1141) est un de ceux-là. Ce moine très savant sera à l’origine d’une nouvelle traduction du corpus dionysien, la novo translatio qui sera complétée après sa mort par le moine Jean Sarrazin. C’est une théologie – Eliade en retrouve les bases dans les Upanisads hindous – dont le volet négatif ou apophatique inquiétera certains penseurs de l’Église du XIIIe siècle.

Lorsqu’on se réfère aujourd’hui à la période qui couvre les XIIe et XIIIe siècles, de 1125 à 1275 environ, on la qualifie de Beau Moyen Âge. Ce n’était évidemment pas une époque sans travers. Les conditions de vie des paysans, les serfs notamment, n’étaient pas idéales. Mais ce fut tout de même un âge d’or dans bien des domaines, une véritable Renaissance avant la lettre. C’est la seule période qui pouvait donner naissance au Tarot. Nous croyons que le jeu a été créé à cette époque par des moines bénédictins de l’abbaye royale de Saint-Denis, ce formidable centre culturel et religieux du monde médiéval européen. Tout ce qu’il y avait de disponible en Europe sur la sagesse hellénique du monde antique y était déposé. L’endroit servait également de nécropole aux rois de France.
Nos recherches nous ont amené à conclure que l’historien Suger, abbé de Saint -Denis, fut le père du projet. Une des raisons est que son nom est codé dans le titre de l’Arcane XX, Le jugement. Une autre, le code en question a servi à encrypter un vitrail et des inscriptions latines de son abbaye. Une autre encore, le nom de Suger est également une énigme, fort simple au demeurant. Nous y reviendrons. Nous nous étendrons également à plusieurs reprises sur la contribution de sainte Hildegarde de Bingen, abbesse bénédictine de Saint-Rupert, que nous considérons comme la continuatrice – et peut-être aussi l’inspiratrice – de l’oeuvre de l’abbé Suger.

Les Tziganes utilisaient un jeu qui était composé de trente-deux cartes en cuir. Les images ou chaturangas provenaient de l’Inde. Nous croyons que ce jeu se serait retrouvé entre les mains de moines qui exploitaient les hostelleries de pèlerins dans les Balkans, une région qui était à l’époque un corridor privilégié vers la Palestine, et l’Orient. Au XIIe siècle, les Tziganes sont déjà présents dans les Balkans et certains parmi eux étaient employés comme domestiques dans les monastères. Hormis leurs cartes de cuir, les membres du peuple rom, comme ils s’appellent également entre eux, utilisaient de petites plaques rondes de nacre gravées pour la divination. Nous ne savons à peu près rien de ces artefacts, la transmission orale de leurs traditions garantissant aux Roms le secret sur leurs coutumes spirituelles. Mais il est fort possible que certains moines et nomades partageant un intérêt commun pour la divination se soient influencés mutuellement.

Nous soutenons que l’abbé Suger a effectué cette rénovation des cartes rom en parallèle avec celle de son église abbatiale, l’oeuvre pour laquelle il est le plus connu. Suger est le père de l’art gothique. Sa connaissance du symbolisme en fait le maître du Moyen Âge en ce domaine. Son église est le modèle de toutes les cathédrales dont le début de la construction remonte au milieu du XIIe siècle.
«Suger est donc à l’origine de la double mission qui allait inspirer l’activité historiographique de Saint-Denis jusqu’au XIVe siècle : la composition d’une histoire de France de mieux en mieux documentée et la rédaction de l’histoire des différents règnes.» (Dictionnaire du Moyen Âge, p. 290) L’abbé Suger, l’historien comme l’administrateur, n’écrivait qu’en latin mais nous entendons démontrer que certaines de ses inscriptions n’ont été rédigées qu’en fonction d’un décodage avec les chiffres du code secret du Tarot de Marseille.

37 Planche Nicolas Convers 1760_2Cette affirmation ne surprendra que ceux qui ne sauraient pas qu’une telle pratique relève d’un art littéraire mineur, le cryptogramme, un procédé de style dans lequel aurait excellé Bernard de Clairvaux lui-même. On peut également rappeler que Suger était un tachygraphe émérite, c’est-à-dire, qu’il écrivait rapidement à l’aide de signes conventionnels. D’après Sabina Flanagan de l’Université d’Adelaide en Australie, sainte Hildegarde de Bingen elle-même utilisait un «langage inconnu» (lingua ignota) et un «alphabet inconnu» (litterae ignotae), deux systèmes qui restent encore largement énigmatiques. Pour Mircea Eliade, «(…) depuis le XIIe siècle les secrets et l’art de les dissimuler s’imposent dans des milieux assez divers. (…) Les langages secrets aussi bien que la prolifération de personnages légendaires et énigmatiques et d’aventures prodigieuses constituent en eux-mêmes des phénomènes para-religieux. (…) il faut tenir compte de l’intention des auteurs de transmettre par le truchement de leurs oeuvres, une certaine tradition ésotérique (…)». (Mircea Eliade, Histoire des croyances et des idées religieuses, Tome III, pp. 113-14).

Nous croyons que le nouveau jeu, qui serait d’abord né dans l’atelier d’historiographie de l’abbaye Saint-Denis sous forme manuscrite, aurait ensuite fait l’objet d’une production manuelle limitée, là où était disponible le papier, dans le monde arabe, en Espagne notamment où il apparaît dans la région de Valence dès 1144 ainsi qu’en en Cilicie franque ou arménienne dans ces territoires latins de Palestine où la féroce milice chrétienne avait établi ses premières bases orientales.

Suger est un contemporain de Hugues de St-Victor et leur parenté spirituelle apparaît aussi évidente que l’était leur proximité géographique et temporelle. Les historiens s’accordent pour reconnaître à Suger le mérite d’avoir inscrit dans la pierre de son église abbatiale des éléments de la philosophie néoplatonicienne de Denis L’Aréopagite telle que l’interprétait Hughes. À la base de celle-ci se trouve la reconnaissance du caractère divin de la Lumière. Suger trouvait chez Hughes de St-Victor, le meilleur interprète de cette doctrine. «Suger n’était pas philosophe de métier. Tout imprégné qu’il fut du mode de pensée dionysien, il avait besoin pour l’affermir, de l’aide d’un vrai théologien. Au moment de faire peindre sur les portes ou graver sur les murs les inscriptions conçues pour indiquer le sens profond de son oeuvre, il trouvait chez Hughes de Saint-Victor le meilleur interprète de la doctrine du bienheureux fondateur de l’abbaye.» (Michel Bur, Suger, abbé de Saint-Denis, régent de France, p. 232)

C’est cette philosophie de la Lumière qui a donné naissance à l’art gothique. À l’époque, on l’appelait art ogival. Les cathédrales construites à partir de cette période sortent toutes de ce moule architectural et spirituel. Elles sont des triomphes de luminosité, de celle qui émane du «soleil théarchique» du Pseudo-Denis L’Aréopagite, ce moine syrien du VIe siècle dont l’oeuvre influence toute la philosophie et la théologie du Moyen Âge. (Le vrai Denis vivait au 1er siècle ; il a été converti par saint Paul.)
Nous prétendons que c’est la rencontre entre cette philosophie d’une part et celle qui sous tend la mouvance hermétique alchimique d’autre part qui a donné naissance au Tarot. S’y retrouvent également des éléments qui tiennent de la farce bouffonne et de l’hérésie, celle du prophète Manes, ou Mani, (216-277) notamment – qui provient de l’Osirianisme de l’Égypte antique et qui est la plus tenace – est clairement illustrée dans quelques lames. La lame XII, Le pendu, dont un niveau de lecture met en scène le thème central du manichéisme de Jesus Patibilis en est l’exemple le plus évident.

Nous allons montrer que le jeu est le produit de la même fermentation intellectuelle qui a donné au monde ces grands vaisseaux de pierre que sont les cathédrales gothiques. Il en a la structure et l’esprit. Ses créateurs ont inscrit dans la cire de leurs tablettes, puis sur du parchemin, les mêmes semences que les artisans confiaient à la pierre et aux vitraux.

L’analyse minutieuse des codages du Tarot permet de conclure que leur présence relègue aux oubliettes la théorie d’une origine lombarde du Tarot. Le simple ajout des suffixes co ou chi au mot tarot est typique de la tendance lombarde de l’époque à s’approprier les éléments de la culture dominante voisine. Bref, les différents exemplaires de tarochi sont certainement lombards. Mais le Tarot est français.

À nouveau, le mot Tarot signifie oracle. Nous estimons que le T final de Tarot est une particule de noblesse qui a été ajoutée volontairement. (Le T en littérature alchimique est une convention pour le mot trésor.) Les deux T se rejoignant pour n’en faire qu’un, ils nous incitent à visualiser le système représenté par ce nom comme un mandala, un cercle sacré, ce qui correspond à l’arrangement circulaire des lames que nous présentons un peu plus loin. Nous avons donc d’abord TARO ou ORAT, ORA-T. Le T a la valeur de 20, qui est aussi celle du mot CLÉ. Ce T ou Tau est notre clef. ORA-T devient ainsi ORA CLE ou oracle! Nous pouvons maintenant rajouter au mot oracle le second T: ORACLE T(20) est également ORACLE XX(20) de XX, Le jugement. L’oracle vient du ciel sous forme d’un message, l’enveloppe, tonné ou révélé, la trompe. Mais attention, jouer de la trompe signifie aussi se jouer de quelqu’un, le tromper ! Enfin, le T (Tau) est le symbole de la croix pour les anciens chrétiens. L’abbé Suger a fait de ce symbole, le Signum Tau, un des éléments décoratifs les plus importants de son église abbatiale. La croix se présente également dans l’alphabet sous la forme de la lettre X. Nous avons ORACLE T (TARO T): ORACLE X (TARO X): 15+18+1+3+12+5+24= 78.

Le codage du Tarot s’est effectué en collaboration avec les artisans de l’élaboration des mots de la langue française naissante. Suger est entouré de grammairiens illustres comme Pierre Abélard et Guillaume de Conches (cir. 1085- cir. 1155). La démarche étymologique est le pilier central de la recherche intellectuelle au temps de Suger. «Au delà de la grammaire, (l’étymologie) est une recherche de l’origine qui permet de remonter non seulement au sens des mots, mais à l’essence des êtres et de choses (…)». (Dictionnaire du Moyen Âge, p. 730) La langue française et le Tarot sont façonnés à partir de cette époque inspirée par la recherche de Dieu dans le monde.

0