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Interprétation psychanalytique du mythe d’Œdipe

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La petite histoire

Laïos est roi de Thèbes. Marié à Jocaste, il a un enfant. Les oracles annoncent que cet enfant, quand il aura grandi, tuera son père et épousera sa mère. Evidemment, Laïos n’est pas d’accord et décide de tuer l’enfant. Il confie cela à un guerrier qui, au lieu de le tuer, va le perdre dans la forêt. L’enfant, les chevilles percées et attachées par une corde à un arbre provoque la pitié d’un couple de bergers qui le recueille et le confie à Polybe, le roi de Corinthe. Il reçoit alors le nom d’Oedipe qui, en grec, signifie « pieds gonflés ». A la puberté, il va à la ville de Thèbes, sans savoir qui il est. Il rencontre un vieillard (le roi de Thèbes, son père) qui, pour ne lui avoir pas laissé le passage, le combat. Oedipe le tue. A l’entrée de la ville, il rencontre le sphinx femelle défenseur de la cité, la terrorisant même complètement : elle a l’habitude de poser des énigmes aux habitants qui ne doivent la vie sauve qu’à une bonne réponse. Jusque là personne n’a pu répondre à ses énigmes. Le sphinx pose la devinette suivante à Oedipe : « Quel est l’animal qui marche à 4 pattes le matin, à 2 pattes à midi et à 3 pattes le soir ? » Oedipe trouve la réponse (« l’homme ») et rentre en héros à Thèbes. La ville lui propose de monter sur le trône, puisque la place est libre. Il épouse Jocaste, en a des enfants et durant 15 ans vit le bonheur. Puis la peste ravage la ville qui demande pourquoi à l’oracle : « la peste est la punition des Dieux vis à vis d’un parricide et d’un inceste ». Oedipe découvre qu’il s’agit de lui. Il se crève les yeux de désespoir, Jocaste se pend. Antigone sa fille l’accompagne hors de la ville qui l’a chassé. Ils partent tous les deux trouver asile à Athènes.

Le complexe d’Oedipe

« La psychanalyse nous a appris à apprécier de plus en plus l’importance fondamentale du complexe d’Oedipe et nous pouvons dire que ce qui sépare adversaires et partisans de la psychanalyse, c’est l’importance que ces derniers attachent à ce fait » – Sigmund Freud –

Le mot « complexe » vient du latin et signifie originellement « composé de divers éléments hétérogènes ». Employé par Breuer dans les « Études sur l’Hystérie », il acquiert, par assimilation au terme allemand « komplex », le sens de « ce qui est compliqué ».

L’histoire du complexe d’Oedipe est associée à la théorie freudienne ainsi qu’à l’histoire de la psychanalyse dans son ensemble. En ce qui concerne le développement d’un enfant, la psychanalyse identifie trois étapes fondamentales: le Stade Oral, le Stade Anal et le Stade Phallique. C’est lors du Stade Phallique que survient chez le garçon le complexe d’Oedipe (complexe d’Électre chez la fille). Le complexe d’Oedipe est un ensemble organisé (et structurant) de désirs amoureux et hostiles que l’enfant éprouve à l’égard de ses parents. Sous sa forme dite positive, le complexe se présente comme dans l’histoire d’Oedipe: désir de la mort de ce rival qu’est le personnage du même sexe et désir sexuel pour le personnage du sexe opposé. Sous sa forme négative, il se présente à l’inverse: amour pour le parent du même sexe et haine et jalousie envers le parent de sexe opposé.

En fait ces deux formes se retrouvent à des degrés divers dans la forme dite complète du complexe d’Oedipe. Freud situe le complexe d’Oedipe dans la période entre trois et cinq ans. Il joue un rôle fondamental dans la structuration de la personnalité et dans l’orientation du désir humain. Très tôt Freud pose les bases théoriques du complexe d’Oedipe comme étant le désir pour le parent de l’autre sexe et l’hostilité pour le parent du même sexe. Il le nomme d’abord « complexe nucléaire » puis « complexe paternel ». En 1910, dans un texte intitulé : « contribution à la psychologie de la vie amoureuse », le terme « complexe d’Oedipe » est utilisé par Freud: « j’ai trouvé en moi comme partout ailleurs, des sentiments d’amour envers ma mère et de jalousie envers mon père, sentiments qui sont je pense, communs à tous les jeunes enfants ».

Stade phallique

Jusque-là le père était vécu comme une mère auxiliaire. L’enfant va découvrir que le père a en fait une fonction bien particulière. Il apparaît menaçant, car inconnu, représentant une menace potentielle. L’enfant se rapproche de la mère. Il vient de se rendre compte que le père intéresse beaucoup la mère, et quelquefois malgré ses revendications d’enfant. Cela entraîne une attitude de colère et d’admiration pour ce personnage qui accapare la mère. L’enfant vient de juxtaposer la fonction parentale du père vis à vis de lui, avec la fonction d’amant vis à vis de la mère. C’est un partage difficile que celui qui lui est demandé. L’enfant se trouve plongé dans sa première solitude d’humain. Il se replie vers lui-même.

Découverte du corps

L’enfant se focalise sur un point très important de son corps : ses organes génitaux. Déplacement entre érotisme anal et érotisme urétral. L’enfant découvre que certaines personnes ont un pénis et d’autres n’en ont pas. Il y a donc ainsi ceux qui en ont, et ceux qui n’en ont pas. Toutes les grandes personnes doivent avoir un pénis. Il pose beaucoup de questions sur la procréation, la sexualité, la grossesse, les relations entre les parents… Faute de comprendre les réponses, il répondra à sa manière. Il ne peut pas admettre ce qui ne correspond pas à sa croyance fondamentale. La fécondation est reliée pour lui à ce qu’il connaît déjà, comme l’ingestion d’aliments, le baiser…Pour certains il suffit d’exhiber ses organes génitaux pour avoir un bébé. La naissance est anale, ou par l’ombilic. Ils élaborent aussi le fantasme de la « scène primitive ». L’enfant peut avoir été témoin d’un coït des parents, ou seulement imaginer ce qu’il peut se passer quand il est exclus (arrivé à l’âge adulte on retrouve ce ressenti quand, à entendre chuchoter 2 personnes connues, on s’imagine être exclus et persécuté).

Souvent, dans le fantasme de la scène primitive, l’enfant s’identifie à l’un des partenaires. Soit le « passif », soit « l’actif ». Il l’interprète alors comme une scène agressive de laquelle résulte pour lui un fantasme d’abandon énorme. Période de cauchemars, de besoin d’affection de la part de la mère… C’est à cette période qu’il demande à dormir dans le lit parental. Naissance du voyeurisme, visuel et auditif. Il recherche les différences anatomiques, il aime montrer son corps et se promener tout nu. Besoin de savoir, il cherche un objet précieux, inaccessible. Ce sont les prémices de la curiosité intellectuelle. L’enfant reste dans un registre très narcissique. Il investit le pénis de plusieurs qualités, entre autres celle de toute-puissance. Avec l’importance qu’il accorde au pénis, survient la peur de le perdre, l’angoisse de castration. De même qu’il a eu peur de perdre la mère, puis les excréments, à ce stade il craint la perte de son pénis.

Il n’y a aucune possibilité d’égalité entre les adultes et l’enfant. Il ne peut y avoir qu’un renversement de rôle, et appropriation des attributs supposés spécifiques à l’adulte (par ex : il met les chaussures de papa, le collier de maman …). Quand l’enfant aura grandi, les parents seront devenus petits à leur tour. Pour l’enfant, la castration est un manque imaginaire, une angoisse d’incomplétude. Cela concerne aussi bien le garçon que la petite fille. L’enfant se demande si l’adulte peut manquer aussi de quelque chose, s’il est vraiment aussi complet que l’enfant l’imagine.

L’angoisse de castration se focalise sur le père, celui-là même qui le rivalise auprès de la mère, celui qui ‘force’ la mère à le délaisser (quand le père réel est inexistant, le rôle paternel est tenu par tout ce qui sépare la mère de l’enfant, que ce soit le travail dans la journée, un membre de la famille, ou la parole…). La figure paternelle va récupérer à son compte toutes les anciennes frustrations vécues par l’enfant.

– On nomme « angoisse de castration » le phénomène transitoire, bénéfique et structurant;

– Le « complexe de castration » est la fixation inconsciente de cette angoisse, future source de souffrances et d’auto-punitions.

Le garçon

Il se sait détenteur du pénis. Cela lui permet de se valoriser, en l’exhibant pour se réassurer. Il s’identifie à son pénis et a très peur de la castration paternelle. Pour lutter contre cette castration, il pourra d’abord refuser psychiquement la réalité : « c’est pas vrai que les filles n’en ont pas; On ne le voit pas mais c’est à l’intérieur ». Il pourra aussi penser que le pénis poussera chez les personnes qui n’en ont pas : « il n’y a pas de différences entre les petites filles et les petits garçons ». Il pourra enfin voir le manque de pénis comme une punition : « c’est ceux qui le méritent bien qui n’en ont pas ».

Le petit garçon résorbera le conflit par l’identification au père.

La fille

Elle sait qu’elle n’en a pas. Mais elle pourra aussi se persuader qu’il suffit d’attendre et qu’il poussera. Revendications phalliques: « je veux faire comme les garçons, je veux grimper aux arbres… ». Elle commence ensuite à accepter son manque, mais contre un avantage: possibilité d’avoir des enfants. Elle demandera cet enfant au père (ce dernier est considéré comme séducteur). L’enfant est l’équivalent du pénis, celui-là même qui ressortira dans la tête de la future mère, comme enfant imaginaire qu’elle demande à son propre père: il faut que le deuil ait eu lieu à la naissance pour qu’elle reconnaisse le vrai père (son mari) comme père de l’enfant.

Chez le garçon, comme chez la fille le premier objet d’amour, c’est la Mère…

L’Oedipe vécu par le garçon

Si vers 3 ans sont apparues chez lui des sensations de plaisir liées au pénis, l’enfant prend soudain conscience des relations sexuelles susceptibles de les provoquer. Il assimile ces relations à ce qu’il imagine se passer entre le père et la mère.

Il reste attaché à son premier Objet d’amour, la mère, mais cet attachement n’est pas entier. Il est ambivalent. Il veut la séduire. Il rencontre par là-même la rivalité de son père, qui de modèle devient rival. De cette rivalité surgit la menace fantasmée et angoissante de castration. Hostilité aussi envers la mère qui lui a demandé beaucoup (aux divers stades) contre peu en échange, estime t’il. Rivalité envers le père, jalousie de sa puissance, de ses droits. Il y mêle l’amour, l’attachement: cette affection plus la crainte de la castration fait qu’il vit un « Oedipe inversé » où, paradoxalement, il a des phases durant lesquelles il séduit le père et rejette la mère (créant cette impression de « complicité » entre hommes). Position homosexuelle. Être en bons termes avec le père atténue indéniablement la peur de castration. C’est l’identification au père qui permettra au garçon de sortir de l’Oedipe. La menace de castration est la sanction du père dans la rivalité qui l’oppose au garçon pour la possession de la mère. S’il veut échapper à cette situation, l’enfant doit renoncer à la satisfaction sexuelle avec sa mère. Le garçon sort du complexe d’Oedipe du fait de la menace de castration. Par identifications à la mère et au père, l’enfant se constituera sa propre personnalité. La part d’identification au père le conduira à chercher comme lui (mais il ne le sait pas encore) une femme hors du cercle familial.

Il y a donc eu d’abord désir Oedipien, tempéré par la menace fantasmatique de castration. L’angoisse est surmontée grâce à l’identification au père, mettant fin à l’Oedipe.

L’Oedipe vécu par la fille

Chez la fille comme chez le garçon, la mère est le premier Objet d’investissement libidinal. Mais à l’inverse du garçon, c’est l’angoisse de castration qui fait entrer la fille dans le processus Oedipien. Il y a changement d’Objet d’amour. L’ambivalence de la fille vis à vis de la mère est plus accentuée que celle du garçon vis à vis du père (plus tard, les rapports entre femmes seront toujours plus compliqués, tandis que ceux entre hommes seront plus simples). L’agressivité de la fille vis à vis de la mère s’est élaborée au cours des expériences de sevrage, permettant plus facilement l’Oedipe inversé. En même temps que le désir de posséder un pénis, apparaît le rejet de la mère « castrée ». Puis cela se transforme en rejet du désir d’avoir un pénis comme le père, évoluant ensuite en désir d’avoir un enfant du père à la place de ce pénis qu’elle n’a pas. La mère est alors une rivale et un Objet d’identification. Phénomènes plus compliqués, plus forts. Sentiments très mitigés vis à vis de la mère, présence de culpabilité. L’Oedipe traîne plus longtemps car il n’y a aucune menace extérieure pour l’obliger à arrêter la séduction vers le père. Elle renoncera par identification à la mère, lui permettant enfin d’habiter sa personnalité féminine.

Chez la fille, le complexe d’Oedipe ne disparaît jamais tout à fait et ses effets se feront sentir dans toute sa vie de femme. L’enfant Oedipien (enfant imaginaire) est un fantasme qui restera très longtemps chez elle. La sortie de l’Oedipe demeure en effet problématique, risquant de plonger la fille soit dans une revendication infinie d’amoureuse blessée, soit dans un renoncement mortifère ou encore de la renvoyer à ses premiers amours pour la mère.

On notera que pour le garçon, l’angoisse de castration le conduit à mettre fin au complexe d’Oedipe. Il constitue donc en quelque sorte, un point d’aboutissement. Chez la fille au contraire, l’angoisse de castration constitue une sorte de point de départ.

Nota : on appelle angoisse de castration tout ce qui est de l’ordre du manque.

La fonction symbolique de l’Oedipe

Le désir : il se différencie du besoin en ce qu’il n’est jamais véritablement assouvi. On ne sait d’ailleurs jamais comment y répondre. L’enfant désire être tout pour sa mère: il cherchera quel peut être le manque de la mère pour le combler. Son désir est d’être le désir de la mère. Ce manque fondamental est, au niveau symbolique, le phallus. Désir originaire: fusionner avec la mère.

Cas pathologique : si la mère répond entièrement à cette demande, l’enfant devient Objet de la mère. Il ne sera jamais sujet. C’est l’entrée dans la psychose.

La Loi du Père : le père sera ici le médiateur. Il interviendra comme privateur, séparant l’enfant de la mère. Il interdit à l’enfant de fusionner avec la mère: « tu ne coucheras pas avec ta mère! ». C’est l’interdit de l’inceste. Le père retient la mère de s’approprier son enfant. Cet interdit s’appelle: la « Loi du Père ». Pour que ceci s’effectue, il faut que la fonction du père soit reconnue par la mère, puis par l’enfant. La place de séparateur doit donc exister déjà dans l’esprit de la mère. Le père pourra être tyrannique, soumis, volage ou fidèle, il faudra néanmoins que la mère le reconnaisse comme séparateur (et non comme géniteur). Cette fonction paternelle doit exister dans l’esprit de la mère dés le début. L’enfant lui, ne la découvrira qu’au moment de l’Oedipe.

L’enfant passe du statut de celui-qui-est le Phallus de la mère à celui-qui-veut-l’avoir. Il renonce ainsi à son désir: c’est une castration symbolique. Son désir véritable va être repoussé dans l’inconscient (refoulement originaire). Il assume ici un sacrifice. Cet interdit va libérer l’enfant, car désormais séparé de la mère, il pourra disposer de lui-même. Il va s’orienter vers l’avenir et s’engager dans la quête d’objets affectifs de plus en plus éloignés de l’objet initial.

Par l’interdit, l’enfant entre dans la culture. Il devient sociétaire. Il s’incère dans une structure familiale. Il ne peut y avoir coïncidence entre les liens d’alliance et de parenté. Cette loi de limitation préserve la famille, assure les générations contre la compétition continuelle et oblige l’individu à aller chercher ailleurs ses relations. C’est une loi de communication et d’ouverture du clan. L’enfant vit, au moment de l’Oedipe, une puberté psychologique fondamentale pour la conservation de l’ordre culturel. Il passe d’une histoire individuelle à une histoire collective, car il connaît sa juste position dans la société, ses droits et ses limites.

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