Panoramix, barbe et saie immaculées, une serpe à la main et un chaudron de potion magique sur le feu. Voilà l’image qui vient à l’esprit de la plupart des Français lorsque l’on évoque le mot druide. Pourtant, cette vision pittoresque est bien éloignée de la réalité du druidisme, ou “état de druidité” comme l’appellent les initiés. Cette spiritualité celte, vieille de près de 2000 ans, se perpétue encore aujourd’hui et compterait plusieurs dizaines de milliers d’adeptes dans le monde. En France, la druidité est pratiquée au sein de 120 à 150 clairières (cercles druidiques). Mais qui sont ces nouveaux druides? Loin des clichés d’Astérix et Obélix, Bran Du, druide dans une clairière des Côtes-d’Armor, nous parle de la tradition druidique.
– Comment définiriez-vous “l’état de druidité”?
C’est impossible! Car définir, c’est finir. Pour vous en dépeindre les axes majeurs, c’est une tradition dont les origines remontent jusqu’au néolithique et qui a été assimilée sur un temps très long, puisqu’il y a près de 2000 ans de présence celtique en Europe. Cela a été confirmé par l’existence de « protoceltes », comme l’ont montré certaines découvertes archéologiques. On peut donc trouver dans cette tradition des survivances de cultes anciens comme ceux liés au soleil, à la lune, à la Grande Déesse, ou encore le réemploi des sites dits mégalithiques… La réflexion dans la tradition druidique est centrale: nous essayons de comprendre le sens de la vie, le rapport des humains avec la nature, l’environnement et le temps mais aussi entre eux. C’est une véritable philosophie!
– Comment vous êtes-vous intéressé à la druidité?
C’est un parcours un peu long. D’abord, j’ai été immergé au sein de la nature pendant mon enfance, ici en Bretagne. Je pouvais aller dans la nature avec une fréquente liberté. A 12 ans, j’ai fait la découverte de la poésie, cet art de mettre en mot les émotions et les sentiments. Et plus tard est venue la découverte du féminin, avec une personne qui était très impliquée dans la tradition druidique et l’incarnait au quotidien. La nature, la poésie et la fémininité sont des éléments présents dans cette tradition, à laquelle j’ai été initié le 23 août 1981.
Aujourd’hui, je suis reconnu comme druide par mes frères et soeurs. C’est le résultat d’une évolution, d’un long travail pour comprendre et servir cette tradition. On y arrive après plusieurs stades d’intiation. Ma mission est d’accompagner mes frères et soeurs, de leur donner les outils les plus utiles pour les amener à suivre le chemin qui est le leur. Comme la philosophie, ou la connaissance de la nature.
– Qu’est-ce qu’une clairière?
Il existe plusieurs groupements et de communautés druidiques, appelées clairières, collèges ou bosquets. Ce ne sont pas des institutions formelles, puisque la druidité est très libertaire. Tout le monde peut s’investir dans ce mouvement, car ce cheminement est avant tout individuel. Il s’agit de comprendre le passé, les traditions et valeurs de la druidité, de l’actualiser.
Chaque groupement se gère de façon autonome, même si certains collèges ont souhaité se féderer pour échanger leurs recherches et réfléchir ensemble sur des questions importantes. C’est le cas de ma clairière, appelée Kan ar Vuhez (le Chant de Vie), qui fait partie de la fédération Comarlia regroupant 28 collèges. Aujourd’hui Comarlia a même un forum, pour répondre aux attentes des jeunes générations.
– Comment est-on initié à la druidité?
Les initiés sont déjà investis dans l’état de druidité: ils sont passés par différents stades d’initiation qui confirment leur niveau de connaissance, de maîtrise et de pratique. C’est une démarche personnelle, lucide, consciente et volontaire. Elle correspond à un engagement au service de la tradition, mais aussi au service de ceux et de celles qui servent cette tradition de leur mieux. Ainsi, chaque marcassin ou mabinog (disciple) qui assiste aux rituels saisonniers peut entamer une démarche initiatique, s’il en manifeste le désir et les arguments. Mais le choix est soumis à l’approbation de ses « pairs ». Bien souvent, cette entrée dans le cercle de l’Evolution est plus une « recouvrance » qu’une découverte: ceux et celles qui font cette démarche initiatique ont le sentiment qu’ils avaient déjà cette « conscience », sans savoir qu’elle porte le nom de tradition celtique.
Mais il y a aussi beaucoup de personnes qui viennent uniquement pour découvrir notre tradition. Il y a énormément de passage dans nos clairière car nous fonctionnons sur le système de la libre adhésion. Ainsi toute personne peut assister à un rituel ou à une cérémonie après un entretien et un accord sur des bases communes de respect et d’entendement. Cependant, nous ne recevons pas « d’invités » lors des rituels qui comportent l’initiation d’un frère ou d’une soeur. Aujourd’hui, nos communautés sont plus ouvertes, ce qui est une prise de risque car nous (les druides) sommes garants de la sérénité de ces cercles.
– Combien de membres dénombre-t-on en France?
C’est difficile à estimer, car le nombre de membres d’une clairière est très mouvant, comme je l’ai expliqué. D’autant que certains initiés passent d’une clairière à une autre, pour mener leur propre expérience en se nourrissant de ce qu’ils peuvent recevoir dans chaque communauté. Aujourd’hui, on compte 120 à 150 collèges en France, mais certains demeurent très discrets. Ils comptent parfois 15 à 20 personnes, mais ce ne sont jamais de grandes communautés. Nous n’avons pas les structures nécessaires et cela ne correspond pas à notre philosophie, car le prosélytisme est antinomique à notre pensée. Mais la demande exterieure est de plus en plus conséquente.
– Vous dites que cette demande augmente: à votre avis, pour quelle raison la tradition druidique séduit-elle autant aujourd’hui?
Les religions révélées ne peuvent plus apporter les réponses à une société confrontée à sa propre modernité. Mais l’homme est profondément religieux, donc il y a une quête de la spiritualité, une interrogation sur la place de l’homme dans le monde, dans son environnement. Notre tradition est née de la nature et propose donc une société symbiotique, ce que recherchent les hommes.
Il faut aussi prendre en compte le fait que notre tradition donne la possibilité aux femmes d’assumer les mêmes responsabilités que les hommes. Et dans un monde où la femme aspire de plus en plus à recouvrir des fonctions sacerdotales, la druidité attire forcément.
Finalement je pense que la principale motivation est surtout que la solitude est très présente aujourd’hui: les gens ont besoin de récréer des familles, des tribus. Ils sont besoin de pouvoir échanger librement, et notre tradition est très libertaire. Chaque individu peut se forger son idée de son existence et de la tradition, dans la considération et le respect.
– Quelle est l’importance de la nature dans votre tradition?
La nature constitue la base de notre tradition, liée aux connaissances des anciens, qui ne perdent pas de leur pertinence aujourd’hui. La nature nous apprend ainsi qu’il faut aller vers une société de l’équilibre, de l’harmonie. Une société plus symbiotique! Pour pérenniser les sociétés, comme la nature pérennise la vie, il faut ramener l’Homme à sa juste place dans son environnement, dans l’univers. Tout cela nous vient des enseignements des anciens, qui avaient déjà une première forme de philosophie, de sagesse, à partir de leur observation de la nature.
La druidité apporte un sens de la conscience et de la responsabilité, par rapport au passé, à l’environnement et à l’univers. D’où l’importance de ce rapport avec les anciens dans notre tradition. Car nous sommes sur le senchus (“sentier des grands anciens”), nous sommes dans la continuité des anciens et de 2000 ans d’enseignements!
– Pourriez-vous m’en dire plus sur la croyance en la réincarnation?
Nous sommes des communautés libertaires, on peut donc avoir plusieurs conceptions. Nous avons des doctrines et enseignements qui préconisent la recherche d’équilibre et d’harmonie, mais chacun peut concevoir comme il veut cette finalité. Les druides n’ont pas voulu fixer ces choses, car ce serait la fin de notre évolution. Certains choisissent de croire en la réincarnation, en se fondant sur certains textes irlandais qui parlent de métamorphoses. Ce n’est pas mon cas, tout simplement car il n’y a pas d’éléments prouvant que les anciens y croyaient. Cela ne m’empeche pas d’en discuter régulièrement et d’argumenter sur ce sujet! Mais chacun est libre de concevoir la façon dont il quittera ce monde comme il le souhaite.
– Quelles sont les principales célébrations de la tradition druidique?
Nos rites sont basés sur les calendriers des anciens celtes, indiquant une période sombre (du 1 novembre au 1e mai) et une période lumineuse (du 1e mai au 30 octobre). Il y a huit étapes sur la “roue de l’année”. D’une part, les quatre fêtes majeures que sont la Samain (1e novembre), Imbolc (1e février, fête célébrant la déesse et l’approche de la période lumineuse), Beltaine (1e mai) et Lugnasad (1e août, fete célébrant Tailtiu, la nourrice du dieu Lugh, une Déesse Mère personnifiant l’Irlande et ayant donné sa vie pour offrir à ses enfants une terre prête à être cultivée). D’autre part il y a les équinoxes et les solstices, qui sont plutot des célébrations liées au monde agraire et pastoral et qui représentent des étapes, des jalons entre les quatre fêtes sacerdotales majeures. Il existe une analogie entre ces fêtes et les rythmes de la nature, car son cycle est aussi le nôtre.
– Souffrez-vous beaucoup des clichés qui circulent à votre sujet?
Oui! Et nous sommes face à un véritable dilemme. D’une part, nous voulons profiter des outils médiatiques pour apporter la connaissance là où la peur et l’ignorance règnent en maitres, car c’est la seule façon de lutter contre ces clichés. Mais les médias abusent régulièrement de notre confiance, en faisant circuler des images opposées à nos spiritualités. On porte atteinte à notre personne, à nos famille, et sans nous donner de droit de réponse!
– Il y a-t-il beaucoup de contacts entre les différentes clairières en France et en Europe?
Il y en a de plus en plus. Il faut savoir que pendant 2000 ans, il y a eu des tentatives d’éradiquer notre pensée. C’est un miracle que nos enseignements aient perduré! Pendant longtemps, nos collèges ont donc vécu dans la discrétion. Mais aujourd’hui, nous souhaitons vivre notre tradition sans avoir la moindre peur. On assiste donc de plus en plus à l’apparition de grands rassemblements et festivals auquel on assiste de plus en plus, notamment en Angleterre ou en Irlande. Nos groupements s’organisent aussi, notamment en France. Une fédération regroupant 28 collèges et clairières a ainsi été créée il y a un an et demi, et dispose de tous les outils pour informer tous ceux qui sont interpellés par cette tradition sur son site internet. En effet, l’époque que nous vivons nous permet de communiquer plus facilement. Et nous en profitons, car la druidité est une tradition vivante, qui évolue avec le monde qui l’entoure!
AOûT
2014